CHAPITRE III

Aussi loin que portait son regard, Rohel ne distinguait rien d’autre qu’un océan de sable ocre, traversé à intervalles réguliers par des barrières brunes ou noires de rochers tourmentés. Le soleil double tendait un voile d’un gris étincelant sur le ciel. Larme, la naine blanche, éclipsait Flamme, la géante rouge, et la chaleur se maintenait pour l’instant au-dessous des quarante-cinq degrés centigrades. Le baromètre du tableau de bord était descendu à moins trente au cœur de la nuit, et Rohel avait dû se couvrir de quatre couvertures de laine pour résister au froid.

L’Ontegut n’était plus qu’un tas de ferraille inerte soumis aux variations climatiques du désert intérieur de Déviel. Seuls quelques instruments – le mémodisque du tableau de bord, le gestionnaire d’ouverture et de fermeture des sas, l’éclairage… – fonctionnaient encore dans le vaisseau privé d’énergie.

Les sondes n’avaient pas détruit les moteurs principaux ni la structure de l’appareil. Le Vioter les avait semées en effectuant un hypsaut de quelques secondes, une manœuvre dangereuse car le franchissement d’une atmosphère en propulsion superfluide risquait de désintégrer l’appareil. D’autant que, dans l’impossibilité d’évaluer précisément les distances, il aurait pu s’écraser directement sur le sol dévillien. Mais il n’avait pas eu le choix : les sondes avaient piqué sur lui et ouvert d’importantes brèches dans le fuselage. Il avait soupçonné le technicien de l’astroport d’être à l’origine de cette attaque. Le Dévillien avait peut-être profité de son entrevue avec le Cartel pour lancer un programme de localisation et déjouer son bouclier furtif. Pour une raison qui restait à élucider, certains humains de Déviel ne semblaient pas désireux de l’accueillir sur leur monde (l’apparition des sondes ne pouvait pas être le fait des Garloups, ou alors c’était à n’y rien comprendre).

S’appliquant à respirer lentement, à garder son calme et sa lucidité, Rohel avait programmé l’hypsaut de la dernière chance. Sans attendre que le propulseur ait donné son accord – il ne l’aurait probablement pas donné, car le laps de temps qui s’était écoulé depuis son saut précédent n’était pas suffisant –, il avait déconnecté les mémodisques gestionnaires, activé le système de paramétrage manuel et validé l’option malgré les messages d’alerte crachés par tous les écrans de bord.

Tandis que les explosions tissaient des guirlandes lumineuses tout autour de lui, le vaisseau s’était arraché de son inertie dans un long ululement. Pendant un temps qui lui avait paru interminable, Le Vioter avait cru que l’Ontegut allait se disloquer. Puis le propulseur l’avait expédié en une fraction de seconde à moins de dix kilomètres de la croûte planétaire de Déviel. Légèrement étourdi, il avait vu le sol se rapprocher à grande vitesse par la baie vitrée de la cabine de pilotage. De nouvelles feuilles s’étaient détachées du fuselage chauffé à blanc par le passage en atmosphère. Il avait déclenché l’ouverture simultanée des boucliers de freinage et des moteurs de rétropropulsion. Les sirènes d’alerte s’étaient conjuguées aux explosions qui se déclenchaient dans les circuits magnétiques, aux panaches de fumée noire vomis par les bouches d’aération.

Malgré la vitesse du vaisseau, trop élevée pour un atterrissage en douceur – les socles refusaient obstinément de sortir de leurs gaines –, Le Vioter avait limité les dégâts en retardant le plus possible la prise de contact avec le sol. Il s’était posé sur une bande de sable qui avait amorti le choc. Il avait glissé sur une distance d’un kilomètre, pulvérisant les rochers qui se dressaient sur son passage. La carène, éventrée par endroits, avait semé le contenu des soutes dans son sillage. La structure avait vibré de manière inquiétante mais elle avait tenu le choc.

Brinquebalé d’une cloison à l’autre de la cabine, Rohel s’en était sorti avec des contusions et des plaies bénignes. Il avait commandé l’ouverture des sas et était sorti de l’épave : les fuites de gaz superfluide pouvaient à tout moment provoquer un embrasement, d’autant que l’anti-incendie ne fonctionnait plus et que les matériaux, portés à l’incandescence, avaient perdu leurs propriétés ignifuges.

Deux heures plus tard, après avoir exploré de fond en comble la carcasse de l’Ontegut, il s’était rendu compte qu’il était dans l’impossibilité de décoller, même pour effectuer un simple vol en atmosphère. En outre, les réserves d’eau et de vivres étaient pratiquement épuisées. Pourtant il n’avait pas cherché à entrer en contact avec les autorités d’Ersel : on le croyait probablement mort du côté de l’astroport et, étant donné l’accueil dont il avait été l’objet, il valait mieux ne pas se manifester pour l’instant. La chaleur accablante du désert l’avait contraint à se réfugier dans l’épave, à attendre le crépuscule dans un compartiment inférieur. Plus tard, à la nuit tombée, c’est le froid qui l’avait à nouveau conduit dans l’appareil, la température s’étant abaissée de plusieurs dizaines de degrés.

 

Quatre jours durant, il resta dans les parages du vaisseau, espérant que son naufrage avait attiré l’attention de populations autochtones ou de nomades. Une consultation du tableau de bord lui avait appris que les agglomérations les plus proches, Ersel, la capitale, et Canis Major, l’oasis centrale du désert intérieur, étaient distantes l’une de deux mille et l’autre de mille cent quarante kilomètres. La carte mentionnait une oasis mineure qui se trouvait à moins de cinq cents kilomètres mais la légende précisait que sa population oscillait entre une et dix unités et que sa retenue d’eau était à sec dix mois sur les onze de l’année dévillienne.

Ce n’est qu’à l’aube du cinquième jour qu’il prit sa décision. Il avait guetté en vain un signe de Saphyr, en avait déduit que la projection holographique proposée par les Garloups n’avait été qu’une sinistre mise en scène. Persuadé que la féelle n’avait pas survécu à sa captivité, gagné par le découragement, il avait failli renoncer, attendre tranquillement la mort à l’intérieur de ce grand cercueil métallique, puis l’instinct de survie avait repris le dessus et, comme il avait perdu l’espoir d’être secouru par une caravane nomade, il s’était résolu à gagner Canis Major à pied. En comptant une moyenne de quarante kilomètres par jour, il lui faudrait un mois local pour atteindre son but. Il ne disposerait pour marcher que de quatre ou cinq heures, aux moments de l’aube et du crépuscule. Le reste du temps, il devrait s’abriter pour résister aux températures extrêmes. Il lui restait quinze litres d’eau, une vingtaine de rations de survie. Il avait prévu seulement deux couvertures afin de ne pas trop alourdir son sac.

Flamme dessinait une auréole mordorée autour de Larme, annonçant l’éclipsé prochaine de la géante rouge sur la naine blanche. Des traînées sanglantes traversaient le ciel et teintaient de rose les reliefs.

Le Vioter hésita encore quelques secondes avant de franchir le seuil du sas. Il avait passé Lucifal, l’épée de lumière, dans la ceinture de sa combinaison. Il avait également pris la précaution de s’équiper du vibreur sonore à canon court qu’il avait découvert dans un tiroir des appartements du capitaine et qu’il avait glissé dans la poche intérieure de son vêtement. Les semelles de ses bottes crissèrent sur le plancher métallique. Il laissa de nouveau errer son regard sur l’immensité ocre, puis, raffermissant sa détermination, il consulta sa boussole de poche et sortit de l’Ontegut d’un pas déterminé. La chaleur lui tomba sur les épaules comme une chape de plomb. Il rajusta les pans du couvre-chef qu’il avait confectionné avec un bout de drap blanc et prit la direction de l’est, empruntant les crêtes des dunes ourlées d’une écume de poussière soulevée par le vent.

*

Les boukramas menaient bon train entre les collines de sable. Ils ne galopaient pas mais adoptaient une allure entre la marche et la course, une sorte de trot à l’amble qui donnait l’impression qu’ils allaient s’effondrer à chaque foulée. Étirés en file, la telle baissée, ils avançaient sous la conduite de la femelle dominante. Ni la chaleur, ni les tourbillons, ni les barrières rocheuses n’entravaient leur progression métronomique. Ils montraient une agilité surprenante pour des animaux de leur gabarit, ralentissant à peine lorsqu’ils escaladaient les pentes abruptes.

Ils s’arrêtaient environ toutes les deux heures, autant pour permettre à leurs cavaliers de se dégourdir les jambes que pour reprendre leur souffle. Les enfants descendaient de leur monture agenouillée et allaient traire les femelles qui allaitaient encore leur petit. Le lait avait un goût fort, âcre, mais aucun des cinq ne rechignait à boire le précieux liquide recueilli dans une pierre creuse. Non seulement il étanchait leur soif mais il calmait leur faim, une faim grandissante qu’ils ne pouvaient plus assouvir avec la chair des cactus. Ils étaient sortis la veille du massif montagneux et s’étaient dirigés vers la mer de sable, à la grande fureur de Lyre qui avait maudit Serpent d’avoir fait confiance à ces « crétins d’animaux aussi moches et stupides que les Oltaïrs du Mensala ».

Elle avait déjà manifesté sa mauvaise humeur au moment de grimper sur l’échine de sa monture, dont la peau et les poils lui écorchaient les fesses et les cuisses, dont l’odeur l’incommodait et dont le balancement perpétuel lui donnait la nausée, comme un voyage à bord d’un glisseur de la mer de Sel.

— Tu serais encore moins à l’aise si c’était toi qui devais porter le boukrama ! lui avait lancé Taureau.

Elle s’était retournée et l’avait fixé d’un air mauvais avant d’apostropher Serpent :

— T’es sûr au moins qu’ils nous conduiront au bon endroit ?

Serpent avait hoché la tête : si le ciel leur avait envoyé une aide extérieure non humaine, conformément à ce qu’avaient annoncé les étoiles, ce n’était certainement pas pour les perdre dans le cœur du désert.

Les boukramas ne leur fournissaient pas seulement la nourriture et la boisson, mais également la chaleur qui leur permettait de supporter le froid glacial de la nuit, et la fraîcheur lorsque Flamme éclipsait Larme et que l’air se faisait aussi brûlant que de l’huile de datte bouillante. Ils s’allongeaient alors sur le sable, se couchaient sur le côté, plaçaient leurs bosses de façon à construire une sorte de toit, puis projetaient sur les enfants allongés un peu d’eau pulvérisée et fraîche par un orifice dissimulé dans leur crinière.

Ils se comportaient avec davantage de docilité, d’intelligence et d’efficacité que leurs congénères domestiques. Les jeunes mâles s’agenouillaient pour permettre à leurs petits passagers de grimper sur leurs membres repliés et de s’installer entre leur bosse dorsale et la base de leur cou. Comme ils n’étaient équipés ni de rênes, ni de selle, ni d’étrivière, ils acceptaient que leurs cavaliers les agrippent par la crinière, une pratique formellement prohibée par les guides, pour qui les crins des boukramas étaient plus sensibles que les antennes des cicéphores ou que les cheveux des enfants.

Lorsque le soleil double se couchait à l’horizon dans un éclaboussement qui associait toutes les nuances de l’orangé et du mauve, ils se regroupaient au pied d’une dune ou d’un promontoire rocheux.

— Ils sont fatigués ? s’était exclamée Lyre le premier soir. Je croyais qu’ils n’avaient besoin que d’une heure de repos par jour…

— C’est pour nous qu’ils s’arrêtent, avait objecté Serpent. Ils savent que le froid de la nuit nous tuerait.

Les mères allaitaient rapidement leurs petits – lesquels démontraient les mêmes qualités de courage et d’endurance que les adultes – avant de placer leurs mamelles à portée de main des enfants. Elles restaient immobiles jusqu’à ce que ces derniers eussent absorbé le lait nécessaire à leur subsistance. Ils devaient presser de toutes leurs forces les tétines aussi dures que les tiges des cactus pour obtenir quelques gouttes épaisses et blanches mais, bien que la séance durât parfois plus d’une heure, que les mains de ces trayeurs de fortune fussent souvent malhabiles, jamais les femelles ne renâclaient ou n’exprimaient un quelconque signe d’énervement. Lorsque leurs mamelles étaient vides ou trop douloureuses pour supporter plus longtemps la mulsion, elles s’éloignaient d’un pas tranquille et laissaient la place à une autre.

L’ensemble de la horde se disposait ensuite de manière à former un amas de membres, de cous, de bosses et de corps en apparence inextricable.

Cygne avait immédiatement compris qu’ils devaient se faufiler à l’intérieur de cette construction vivante pour bénéficier d’une protection efficace contre le froid. S’il leur avait suffi de se serrer les uns contre les autres dans la zone montagneuse, ils erraient désormais dans cette région du désert où la température faisait le grand écart, où les guides les plus expérimentés ne s’aventuraient qu’en de très rares occasions.

— Entrez là-dedans ! avait-elle ordonné aux autres.

— T’es dingue ! avait protesté Lyre. Ces gros tas de viande vont nous aplatir comme des feuilles !

— Ça vaudra mieux que d’être transformés en blocs de glace.

Cygne s’était tournée vers Serpent :

— Que disent les étoiles ?

— Rien de nouveau, avait répondu le garçon, la tête levée vers le ciel assombri.

Payant de sa personne, Cygne s’était glissée entre les membres des boukramas et, à force de contorsions, s’était retrouvée allongée sur un abdomen palpitant aussi confortable qu’un matelas, aussi chaud qu’une couette de laine de multam. Elle avait eu peur au début d’étouffer entre les masses qui l’environnaient et qui paraissaient encore plus imposantes couchées que debout, puis elle avait constaté que l’abri était plus sûr qu’une maison de torchis de Canis Major et elle avait invité les autres à l’imiter.

Lyre avait d’abord refusé, puis un vent glacial s’était levé qui l’avait transie jusqu’aux os et l’avait poussée à se réfugier à son tour à l’intérieur de l’enchevêtrement. Elle avait immédiatement senti une douce tiédeur la pénétrer et elle s’était accoutumée à l’âcre odeur de leur chambre de fortune. Elle s’était abandonnée sur le flanc qui l’avait accueillie et, tandis que des membres et des cous s’allongeaient pour dresser une toiture au-dessus de sa tête, elle avait revu l’image de son père torturé par les Oltaïrs, elle avait pensé à sa mère, à ses frères, et les larmes avaient roulé silencieusement sur ses joues.

Les boukramas se relevaient l’un après l’autre quand les premiers rayons du soleil double chassaient le cauchemar glacé de la nuit. On aurait pu les croire maladroits avec leurs membres cagneux, leurs cornes ébréchées, leurs cous décharnés, mais l’habileté avec laquelle ils se défaisaient de leur enchevauchure, l’attention qu’ils portaient à leurs petits protégés, la grâce avec laquelle ils accomplissaient cette succession de gestes matinaux démentaient cette impression de gaucherie. Les femelles se prêtaient de bonne grâce à la corvée de traite, d’autant que le matin elles n’allaitaient pas leurs petits, exercés très tôt à l’école de la sobriété.

La femelle dominante, que Petite-Ourse avait surnommée Andromède – elle évoquait irrésistiblement la vieille Andromède de Canis Major, une veuve à l’œil inquisiteur et toujours vêtue de la même robe brune –, remontait la horde alignée avant de donner le signal du départ, comme un général inspectant ses troupes. Elle examinait un peu plus longtemps que les autres les cinq mâles chargés de transporter les enfants.

Cygne s’assurait que ses compagnons se couvraient la tête d’un bout de tissu.

— Pour quoi faire ? objectait invariablement Lyre. Le soleil double ne tape pas plus fort ici qu’à Ersel !

Sous l’amicale pression de Taureau, elle finissait pourtant par obtempérer, étalant sur son crâne un pan déchiré de sa robe qu’elle nouait sur sa nuque. Elle ne le regrettait pas lorsque Larme commençait à disparaître derrière Flamme et que le fœsch soulevait de puissants tourbillons de sable. Elle se couvrait alors la bouche et le nez de la précieuse étoffe et, même si les minuscules grains de quartz lui cinglaient avec virulence les mollets et les cuisses, elle pouvait au moins respirer sans gêne.

Les filtres rétractiles des naseaux des boukramas leur permettaient de traverser les tempêtes sans souffrir des infiltrations de sable. De même, une membrane translucide humide, une sorte de paupière supplémentaire que les guides surnommaient le « rideau de fœsch », s’abaissait sur leurs yeux. Ils se fermaient ainsi aux atteintes du désert, un peu comme les grands vaisseaux qui traversaient l’espace, indifférents aux pluies d’aérolithes et aux orages magnétiques.

Lyre était souvent allée contempler les géants métalliques immobilisés sur l’astroport d’Ersel. Combien de fois avait-elle rêvé d’être emportée par l’un de ces grands oiseaux sur un monde où elle recouvrerait son innocence, où elle ne serait pas salie par la profession de son père ? Elle avait assisté, de loin, à quelques décollages, impressionnée par les grondements des moteurs d’extraction atmosphérique, fascinée par les flots de fumée blanche qui s’échappaient des tuyères, stupéfiée par la vitesse à laquelle ces énormes masses se fondaient dans l’immensité céleste. Elle avait projeté de s’engager comme membre d’équipage à sa majorité, autant pour fuir l’atmosphère étouffante d’Ersel que pour découvrir d’autres horizons, d’autres paysages, d’autres visages.

Le ciel en avait décidé autrement : il lui avait volé sa famille et l’avait condamnée à déambuler dans le désert intérieur sur l’échine d’un animal inconfortable et répugnant.

Le disque empourpré de Flamme régnait sans partage dans un ciel écarlate. Contrairement à l’habitude, les boukramas n’avaient pas observé de pause au plus fort de la chaleur, visiblement pressés de quitter un endroit qui n’offrait ni refuge ni ombre. De temps à autre, un blatèrement s’échappait de leur gueule entrouverte, qui sonnait tantôt comme une plainte, tantôt comme un avertissement. Ils traversaient une étendue rocheuse plane, recouverte d’une fine pellicule de sable que le vent chassait en vagues éphémères et sinueuses.

Penché sur le cou de sa monture, Serpent apercevait des formes dans les effluves de chaleur, trop furtives et imprécises toutefois pour l’entraîner dans le monde des illusions.

Les mirages appartenaient à l’environnement cælecte au même titre que les dattes bleues, les déluges de sable ou les arbres-fontaines. Ils se produisaient principalement durant la saison du vent d’ouest, le manich ou le « souffle des dieux farceurs ». Ils peuplaient alors les rues, les places et les maisons de personnages ou de scènes tellement réalistes que les anciens eux-mêmes s’y laissaient prendre, apostrophant l’inconnu qui se tenait sur le seuil de leur porte ou célébrant le retour inopiné d’un être cher disparu depuis plus de vingt ans. Il fallait une bonne vingtaine de secondes à l’homme ou à la femme pris dans les filets de l’illusion pour se souvenir que la saison des mirages battait son plein, que l’inconnu ou l’être cher n’étaient que des leurres déposés par le soleil double ou le vent.

Des spécialistes venus de mondes lointains avaient déclaré que ces phénomènes débordaient du cadre classique de la réfraction inégale et entraient pour une bonne part dans l’univers controversé des hallucinations mentales. Ils avaient fourni une ébauche d’explication dans laquelle des considérations psychiques se mêlaient à la physique des quantas mais, dans l’incapacité d’étayer leur discours par des preuves irréfutables, ils avaient fini par reconnaître leur ignorance et s’étaient gardés du ridicule en concluant que la nature réservait encore de grandes surprises à l’être humain.

Pour Serpent et les membres de la bande de Cygne – et pour l’ensemble des enfants de Canis Major –, la saison des mirages était une période merveilleuse où le désert abandonnait son austérité coutumière pour s’amuser avec ses habitants, où les apparitions subites de personnages chimériques surgis de l’inconscient collectif déclenchaient des hurlements d’effroi ou des cascades de rire.

C’était peut-être ce jeu régulier avec les illusions qui avait précipité la perte de Canis Major. Bien que la saison du manich n’eût pas encore débuté, les Cælectes avaient tardé à réagir, persuadés que les assaillants caparaçonnés de métal et de cuir allaient s’évanouir d’un moment à l’autre. La pluie d’ondes sonores et de faisceaux à haute densité qui avait submergé la grande oasis avait apporté le plus cinglant des démentis.

Serpent aperçut une forme sombre à l’horizon, une masse qui se dressait comme une colline mais qui était métallique à en juger par les reflets scintillants qui transperçaient les effluves de chaleur. Il s’attendit à la voir disparaître comme n’importe quel mirage mais elle perdura dans son champ de vision.

 

— C’est un vaisseau intergalactique, affirma Lyre d’un ton docte.

— Comment tu le sais ? demanda Taureau.

Elle marqua un temps de pause pour bien montrer à ses compagnons que la fille d’un marchand d’hommes pouvait aussi être utile. Alignés devant l’épave du vaisseau, agenouillés, les boukramas récupéraient de leur longue course. La chaleur était telle que le sol semblait sur le point de se liquéfier.

Les enfants étaient descendus de leurs montures et s’étaient approchés avec circonspection de l’énorme masse rougeoyant sous les rayons rasants de Flamme. Ils marchaient les jambes écartées pour éviter les frottements de leurs cuisses endolories. Aucun d’eux ne l’avouait mais ils espéraient trouver de quoi se restaurer, se rafraîchir et se laver à l’intérieur de ce géant échoué. Cependant, son aspect délabré, les fissures et cavités béantes de son fuselage rebondi, les pièces métalliques répandues autour de lui comme les plumes d’un oiseau abattu en vol et le sillage de la largeur d’un fleuve creusé par sa carène soulevaient de sérieux doutes sur sa capacité à satisfaire leurs désirs.

— Comment tu le sais ? insista Taureau.

— J’ai vu plein de vaisseaux à l’astroport d’Ersel, daigna enfin répondre Lyre. Les grands, comme lui, sont équipés de propulseurs hypsaut qui leur permettent de franchir d’un seul coup plusieurs milliers d’années-lumière.

— Tu crois qu’il appartient à l’homme dont parlait Drago ? demanda Cygne à Serpent.

— Sans doute, répondit le garçon. Les boukramas ont exécuté la volonté du ciel.

Ils s’approchèrent d’une bouche arrondie et sombre qui paraissait être le sas d’entrée. Le silence qui enveloppait l’épave semblait receler un danger. Le sable crissait doucement sous leurs pas. Le vent gémissait dans les feuilles métalliques à demi arrachées du fuselage.

— Il y a quelqu’un ? cria Cygne.

N’obtenant aucune réponse, elle prit son courage à deux mains – le statut de chef comportait certaines obligations – et franchit le seuil de l’ouverture, suivie quelques secondes plus tard par ses quatre compagnons.

La chaleur à l’intérieur de l’amas métallique était encore plus suffocante qu’à l’extérieur, mais ils s’enfoncèrent plus avant, à la fois excités par cette exploration d’un appareil en provenance d’un monde lointain et effarés par son gigantisme. Ils longèrent un premier couloir qui aboutissait sur une sorte de carrefour d’où repartaient cinq autres coursives plus étroites. Ils choisirent de s’engager dans celle du milieu, pour la seule raison qu’elle était en apparence la moins abîmée. Les vibrations du plancher métallique se répercutaient d’une cloison à l’autre. Des senteurs inconnues, inquiétantes, paressaient dans l’air torride. Des fils arrachés de leurs gaines pendaient le long des piliers de soutènement qui surgissaient de la pénombre comme des spectres.

— J’ai peur, gémit Petite-Ourse dont la main vint se placer dans celle de Cygne.

Les autres, pas plus rassurés qu’elle, s’appliquaient à dissimuler leur propre frayeur. Ils débouchèrent sur une immense salle qu’un rayon oblique et rougeâtre, tombant d’une fissure, éclairait en partie. Il y régnait une odeur doucereuse qui évoquait quelque chose dans l’esprit de Serpent. Il eut beau battre le rappel de ses souvenirs, il ne réussit pas à mettre d’images sur ses sensations olfactives.

— C’est une soute, précisa Lyre. Là où on entrepose le matériel et les affaires des passagers…

Sa voix s’envola vers la voûte où elle se répercuta. Ils distinguaient des formes figées dans la semi-obscurité, des véhicules à chenilles, des chariots renversés, des caisses éventrées qui avaient vomi leur contenu, vêtements, éléments de mobilier, objets divers. Les vestiges, peut-être, de rêves d’émigrants.

— Ça sert à rien de rester là, dit encore Lyre. Si le pilote est vivant, on le trouvera là-haut, dans la cabine de pilotage ou dans son appartement.

Un bourdonnement prolongé s’éleva d’un recoin obscur de la soute, enfla rapidement en un grondement assourdissant.

Serpent fixa attentivement l’endroit d’où avait surgi le bruit et distingua des formes grouillantes dans l’obscurité. Des images remontèrent tout à coup à la surface de son esprit… Des nuées blanches déferlaient sur Canis Major, pénétraient dans les maisons qu’on n’avait pas eu le temps de fermer, dévoraient les feuillages des arbres, repartaient en abandonnant derrière elles des squelettes et des ruines…

L’odeur, c’était celle des cicéphores blancs, le fléau tant redouté des Cælectes. Un essaim s’était installé dans le vaisseau désert.

Serpent s’était-il trompé ? Les nuées qu’il avait aperçues autour de l’étoile du voyageur l’avaient-elles averti de la présence des cicéphores ? Peut-être les redoutables insectes avaient-ils dévoré le pilote en quelques secondes avant de prendre possession de l’épave ? Un verset du Livre disait qu’une interprétation pouvait en renfermer une autre, que les voies du ciel étaient parfois tortueuses.

L’essaim prit son envol dans un crissement caractéristique.

— Des cicéphores ! cria Taureau.

Son hurlement donna le signal de la débandade. Cygne tira brutalement Petite-Ourse en arrière et s’engouffra dans la coursive, suivie de Lyre et des deux garçons. Ils coururent à l’aveuglette dans le passage étroit et dont le plancher, défoncé par endroits, présentait des cavités ou des saillies traîtresses. Lyre et Taureau s’emmêlèrent les pieds, trébuchèrent, s’étalèrent sur les dalles métalliques. Aiguillonnés par le bourdonnement qui fondait sur eux comme un faisceau lumineux, ils se relevèrent et foncèrent vers le demi-cercle légèrement plus clair de la sortie.

Le vol des cicéphores, gros insectes protégés par une épaisse carapace blanche et dotés de mandibules aussi coupantes que des lames de rasoir, n’était pas particulièrement rapide mais ils pouvaient poursuivre une proie pendant des heures et la rattraper quand elle donnait des signes de fatigue. Ils la dépeçaient ensuite en moins de cinq secondes, ne laissant d’elle qu’un squelette parfaitement nettoyé.

Les enfants débouchèrent sur la place qu’ils avaient traversée quelques instants plus tôt. Un réflexe entraîna Cygne à s’engager dans le large couloir qui donnait sur le désert, mais Serpent se plaça devant elle pour l’en empêcher :

— Pas dehors ! souffla-t-il en lançant un regard par-dessus son épaule. Ils nous tueront, nous et les boukramas !

— Où ? souffla Cygne dont les yeux voltigeaient d’une ouverture à l’autre comme des oiseaux affolés.

— Dans un compartiment du haut ! cria Lyre.

Le sang coulait de ses narines, se répandait sur ses lèvres, sur son menton. Elle n’avait même pas senti le métal ébréché lui fracasser le nez lors de sa chute.

— Par où ?

La lumière rasante de Flamme s’infiltrait par le couloir pour mourir sur les cloisons et la voûte de l’hexace. Lyre se dirigea vers l’entrée d’une coursive en priant le ciel qu’elle eût fait le bon choix. Elle n’avait jamais visité de vaisseau mais elle les avait si souvent observés à l’astroport d’Ersel qu’elle pensait connaître par cœur leur agencement interne. Il fallait de toute façon prendre une décision : la nuée de cicéphores surgirait dans une poignée de secondes.

Les autres lui emboîtèrent le pas sans hésitation. Ils lui faisaient confiance comme ils avaient fait confiance aux visions célestes de Serpent et aux directives de Cygne.

La déclivité prononcée de la coursive leur indiqua qu’ils montaient vers un étage supérieur. Le bourdonnement de l’essaim prit une résonance terrifiante lorsqu’il se lança sur leurs traces dans l’étroit boyau.

— J’en peux plus ! gémit Petite-Ourse.

La pente leur coupait le souffle et leur brûlait les muscles. Cygne comprit que les insectes les auraient rattrapés avant qu’ils n’aient eu le temps de se réfugier dans le compartiment. Il n’y avait qu’un moyen d’éviter cette issue.

Elle poussa Petite-Ourse devant elle et cria :

— Filez ! Je vous rejoindrai plus tard !

Elle s’arrêta, reprit son souffle, raffermit sa détermination, fixa jusqu’au vertige les ténèbres qui ensevelissaient la coursive. Malgré sa peur, elle baignait dans une sérénité qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant.

C’était la seule décision envisageable. Une décision de chef. Elle espéra que ces quelques secondes de répit permettraient à ses petits compagnons d’échapper aux mandibules des prédateurs.

Les premiers cicéphores se posèrent sur ses cheveux, sur son visage, sur son cou. Puis l’essaim tout entier la recouvrit et elle s’effondra sur le plancher métallique.

Cycle de Saphyr
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